Janvier 2009 : distribution

Je connais déjà Alain Libolt à qui j’ai demandé de jouer un rôle dans le court métrage que je viens de tourner pour Canal Plus. Il sera Roger Benoît, l’homme qui sera probablement élu Président de la République après la fin de mon film. Je rencontre également très rapidement Gwénaëlle Simon. Je suis très intimidé et elle m’avouera plus tard m’avoir trouvé parfaitement assommant jusqu’à la toute fin de l’entretien où un éclair d’espoir lui a fait entrevoir la possibilité que, peut-être, je ne suis pas l’être sinistre avec qui elle a eu l’impression de passer une heure interminable. De toute façon, le scénario lui plaît et elle décide de rejoindre le film. Un peu plus tard, je prends un verre avec Thomas Chabrol, mon presque voisin, et il me dit à la fin de l’entretien : « On va bien se marrer ! »

Le trio de comédiens dont je rêvais trois ans auparavant est donc réuni et nous pouvons continuer à penser aux autres acteurs. Il y a beaucoup de rôles dans La République, beaucoup de comédiens à trouver donc et chacun doit être crédible. Julien Naveau et mon premier assistant Guilhem auront été d’une grande aide dans cette partie du travail. Je le sais aujourd’hui, la partie la plus importante de mon travail de metteur en scène pour ce film fut de trouver le groupe d’acteurs le plus juste possible et je frémis rétrospectivement en me demandant ce qu’aurait été La République sans eux. Si le film fini ressemble finalement tant à ce que j’avais en tête au départ, c’est entièrement de leur fait.

Au départ, le personnage de Barbara, la fille de Roger Bertrand (Alain Libolt) était un jeune homme, Xavier. Quelques semaines avant le tournage, je décide d’en faire une jeune femme, un peu inspirée par Claude Chirac. Barbara sera interprétée par Shanti Masud, la réalisatrice des très beaux But We Have the Music et Don’t Touch Me Please, actrice dans La Main sur la gueule de Arthur Harari et accessoirement actrice et scripte du Jour où Ségolène a gagné. J’avais eu l’impression de cosigner la mise en scène de mon premier film avec elle et je me voyais mal ne pas travailler à ses côtés pour mon nouveau film, presque par superstition.

Je finis la distribution des rôles principaux quelques semaines plus tard en rencontrant Vanessa Larré dans un café de style anglais à côté du Louvre. Elle est ravie par le projet et je lui avoue que je l’avais remarquée il y a une bonne dizaines d’années dans une série de sketchs, L’Ours Maturin et la famille Wallace, diffusée sur TF1 dans une émission de Christophe Dechavanne. Julien Naveau m’avait proposé plusieurs noms que j’avais trouvés trop insuffisamment « Florence Aubenas » jusqu’à ce que je me souvienne de cette très belle comédienne que je revoyais régulièrement au cinéma et à la télévision.

La seule grande difficulté de ce casting fut de trouver le bon comédien pour jouer le rôle de Grémont, le méchant de l’histoire. Je voulais un comédien à la fois séduisant et inquiétant. Un premier acteur donna son accord mais des problèmes de planning nous empêchèrent de travailler ensemble. Vers le mois de mars, nous envoyons le scénario à Bernard Lecoq, à mes yeux un des tout meilleurs acteurs français et nous attendons sa réponse en croisant les doigts.

Les différents plannings des acteurs nous empêchèrent de véritablement répéter le texte, pourtant très abondant et assez difficile. Nous nous contentâmes donc de faire une demi-douzaine de lectures qui nous permirent surtout de mieux nous connaître et de discuter des rôles. Souvent, les comédiens me demandaient d’éclaircir leurs compréhensions de l’intrigue, effectivement assez complexe.


Avril 2009 : tournage

La veille du tournage, je retrouve l’équipe du film porte de Bagnolet. Au premier péage, je reçois un coup de fil de Bernard Lecoq qui vient de recevoir mon scénario, il était en tournage dans le sud de la France et me remercie d’avoir pensé à lui. Malheureusement, il ne sera pas disponible. Nous nous retrouvons donc à un jour du tournage sans acteur pour interpréter Grémont. Il nous reste cinq jours pour le trouver, sachant que dès le lendemain, toute l’équipe sera occupée plus de 12 heures par jour.

La République n’est que mon deuxième court métrage, je n’ai presque aucune expérience puisque je n’ai jamais assisté à un tournage avant de réaliser mon premier film. Pourtant, c’est déjà un tournage assez lourd, avec une équipe nombreuse et un budget important pour un court métrage. La vérité est qu’un film peut tout à fait se tourner sans metteur en scène : les techniciens ont l’habitude de travailler ensemble et la tâche du réalisateur n’est pas donner une impulsion à une équipe mais véritablement de pouvoir se faire une place au milieu d’elle, de ne pas lui permettre de faire le film toute seule. Un tournage est comme un train lancé à toute vitesse et le travail du metteur en scène consiste à lui faire prendre une direction. La mise en scène n’est donc pas un art de la maîtrise, et je suis toujours gêné quand on me dit que mon film est maîtrisé – s’il l’est c’est que mon équipe est bonne – mon travail est de donner au film une personnalité, un contenu, en jouant subtilement sur certains aspects de sa fabrication ; il est impossible de tout contrôler, à moins de faire le film seul, sans acteur et sans technicien.

 

 

 

 

 

 

Février / Mars 2009 : préparation

A la fin de l’hiver, Guilhem organise un voyage de repérage à Reims d’une semaine. Nous parcourons la ville, rencontrons les membres du bureau de l’aide au tournage de la région et prenons quelques premiers contacts.

Il n’est pas trop difficile de trouver les décors puisque j’ai choisi de faire se dérouler mon film dans des lieux que n’importe quelle ville de province possède : des hôtels, un palais des congrès, un jardin public, un café PMU. La seule vraie difficulté est de trouver des chambres d’hôtels suffisamment vastes pour faire tenir en leurs seins une équipe de cinéma et des acteurs avec un recul suffisant qui me permettra de ne pas tout tourner en gros plans. Je n’ai pas envie de faire un faux documentaire, il me faut un certain recul pour filmer plusieurs acteurs dans le cadre. Une scène se déroulant dans une chambre d’hôtel regroupe même huit ou neuf comédiens et figurants. Il n’y a qu’une chambre d’hôtel dans tout Reims qui le permet et une semaine n’est pas de trop pour visiter tous les hôtels, tous les cafés, tous les jardins publics de la ville. Guilhem et moi parcourons des kilomètres et vidons quelques demis dans des cafés que nous repérons, en toute discrétion.

Souvent, les Rémois que nous rencontrons et à qui nous racontons l’histoire du film sont très amusés : le congrès de Reims lors duquel Martine Aubry et Ségolène Royal se sont affrontées vient d’avoir lieu et le souvenir de réunions de travail dans les chambres et halls d’hôtels sont encore très vifs.

Le vendredi, tous les décors sont trouvés, ne reste plus à la production qu’à négocier le prix des locations de ces lieux et à obtenir différentes autorisations auprès de la mairie.

Parallèlement, l’équipe du film se met en place. Marie-Clotilde Chery qui a déjà travaillé sur mon premier film sera ingénieur du son. Leslie Garcias, la décoratrice du film, prépare les accessoires qui nous permettront de rendre crédible ces universités d’été imaginaires, Léa Rutkowski, les acteurs et moi-même discutons des costumes que porteront les personnages et je prépare avec Sébastien Buchmann, mon chef opérateur et Alexandra Vérien, ma scripte, le découpage du film.

À une semaine du tournage, la seule mauvaise nouvelle que nous ayons reçue depuis des mois tombe : le CNC nous alloue une aide moins importante que prévu. Il faut, en urgence, réécrire légèrement le scénario, supprimer certains personnages de quelques scènes, bref repenser certains aspects du film pour économiser quelques milliers d’euros où cela est possible. Par ailleurs, nous devrons boucler le tournage en neuf jours et non plus dix.

 

Sur mon tournage, Sébastien Buchmann, mon infaillible chef opérateur, est le patron, dans la mesure où c’est lui qui donne les ordres à la plus grande partie de l’équipe. Je ne fais qu’avaliser ses décisions ou bien je lui demande de modifier légèrement ce qu’il me propose (un cadre, la rapidité d’un panoramique ou d’un travelling). La plupart du temps, je suis avec les acteurs ; j’essaie de donner au tournage une ambiance réjouissante car je me suis aperçu dès mon premier court métrage que les plus aguerris des comédiens ont très peur pendant leurs prises. Je n’ai pas envie d’être manipulateur, je pense que mes films seront meilleurs si les acteurs sont détendus dans la mesure du possible et s’ils peuvent penser sereinement au sens de ce qu’ils disent. Je ne dirige pas non plus mes acteurs, je les ai choisi avec soin, souvent avec passion mais je ne vais pas expliquer à Alain Libolt qui fait du théâtre depuis trente ans comment jouer mon texte. S’il sait jouer du Claudel, je me dis qu’il sait mieux que moi comment dire mes dialogues. Je ne vais pas non plus expliquer à Thomas Chabrol comment se déplacer par rapport à la caméra alors qu’il a tourné près de cent films. Au contraire, ce sont eux qui m’aident, trouvent des solutions dans leurs gestes, leurs déplacements ou leurs intonations.

De toute façon, la place d’un metteur en scène de court métrage est très compliquée. L’équipe se fait un devoir de nous considérer comme le patron de la PME qu’est un tournage. Ils font ce que nous leur demandons, ils s’exécutent de façon très professionnelle, ils bossent plus que nous, leur travail est beaucoup plus pénible que le nôtre. Bref, le tournage de cinéma est un des derniers lieux où se joue encore une sorte de lutte des classes. Mais c’est une lutte des classes factice dans le court métrage : souvent le metteur en scène est au RMI ou presque, il est le patron d’ouvriers qui gagnent dix fois ses revenus, il sait qu’il ne refera pas de film avant longtemps (deux ans, cinq ans, très souvent jamais) alors que les techniciens confirmés enchaînent films sur films.

J’essaie d’aller assez vite, de faire peu de prises dans la mesure du possible. J’ai, comme beaucoup de cinéphiles, la nostalgie de l’époque des studios. Nous travaillons le matin, allons manger à midi et nous travaillons à nouveau l’après-midi. Je déteste la fièvre, les crises, le côté psychodrames que peuvent revêtir certains tournages.

Je m’aperçois cependant assez rapidement que tout le stress que je n’éprouve pas s’est reporté sur mon premier assistant, Guilhem, qui travaille dix fois plus que moi pour que tout se passe bien. Je le vois tous les matins au petit déjeuner, avec ses yeux mi-clos me regarder avec envie quand j’avale mes cinq ou six tranches de salami réglementaires. Il me dit un jour : « Si tu peux manger ton saucisson tous les matins avec appétit, c’est que je fais bien mon boulot. » Il a raison et je ne maigrirai pas pendant le tournage de La République.

Malgré tout, je me couche tous les soirs avec la peur de ne pas avoir le temps de tourner tous les plans du lendemain, sans compter que le problème du rôle de Grémont ne sera réglé qu’au bout de quatre ou cinq jours de tournage. Olivier Seror, un réalisateur dont j’ai vu et aimé les films, dans lesquels il est souvent acteur, jouera avec appétit le rôle du méchant du film. La situation est curieuse : je ne le connais pas personnellement, nous n’avons parlé du rôle que quelques minutes au téléphone et nous devons malgré tout tourner sa première scène comme si nous avions répété pendant des mois. J’aime assez, dans le cinéma, ce côté jeu de casino : nous parions qu’un acteur sera bon dans le rôle pour lequel nous l’avons choisi mais on ne le saura réellement qu’au moment où la caméra tourne. Un acteur ne joue jamais de la même façon en répétition à Paris, en répétition sur le tournage et pendant la prise. Quelque chose se passe, ou pas, et cette fois encore, personne ne peut maîtriser ce miracle-là même quand le choix des acteurs a été fait avec soin.

Le tournage, difficile, fatiguant malgré tout, se termine. La dernière scène que nous tournons est celle du café dans laquelle Grémont annonce à François Darcy et Bruno Tierce que le président de la République est mort au petit matin. Olivier Seror a huit pages de texte, un texte difficile, extrêmement narratif et nous n’avons que trois heures pour tourner la scène. Les nerfs de l’équipe sont mis à rude épreuve : il n’est pas du tout impossible qu’Olivier ne parvienne pas immédiatement à dire ce texte si long et si compliqué – il ne l’a jamais répété et nous savons tous que si la scène est ratée, le film sera incompréhensible. Nous décidons Olivier et moi de ne pas faire de répétition, de nous lancer directement. Il s’avère que nous faisons le bon choix ; Olivier réussit sa prise, sans aucune faute, nous pourrons même en faire deux autres, et nous finissons le tournage avec un quart d’heure d’avance.

Les techniciens rangent le matériel, tout le monde s’embrasse, la directrice de production sort le champagne. Comme à la fin d’une colonie de vacances, nous sommes déjà nostalgiques et nous savons que, pour la plupart d’entre nous, nous ne nous reverrons pas.

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