Juin / Juillet 2009 : montage

J’ai beau avoir écrit le film, avoir assisté au tournage, j’ai beau avoir monté le film dans ma tête pendant que je regardais les acteurs jouer sur mon écran de contrôle, je n’ai absolument aucune idée de ce à quoi va ressembler le résultat. Même quand je regarde les rushs avec ma monteuse, Céline Ameslon, je ne sais pas si le film sera réussi ou s’il sera un gigantesque ratage. J’ai beau avoir fait à peu près tout ce que je voulais, tant que les plans ne sont pas collés les uns aux autres, le film n’existe pas, il n’est qu’un point d’interrogation angoissant qui m’empêche de dormir.

À la fin de la première semaine, je suis même totalement découragé. Je suis persuadé que le film n’est même pas montrable. Je passe le week-end à imaginer des stratégies qui me permettraient de ne pas le finir, de ne pas le montrer à France 2. Je pense à ce que je vais dire aux gens qui me demanderont pourquoi ils ne l’ont toujours pas vu.

Et puis, au fur et à mesure, Céline et moi trouvons le film, elle réalise un remarquable travail de précision, notamment pour les nombreux champs contrechamps du film. Il est de bon ton de mépriser cette figure de style mais je m’aperçois pendant ce montage que le plus grand art du monteur est peut-être de trouver les bonnes coupes, les bons regards quand deux personnes, simplement, se parlent face à face. Il y a quelque chose de très noble dans ce dispositif de mise en scène si simple.

Au bout de deux semaines, nous présentons un premier montage à Julien Naveau qui semble lui aussi soulagé. Il nous donne de nombreux conseils précieux. Céline et moi n’avons plus le recul nécessaire pour voir certaines choses pourtant assez évidentes.

Julien organise une première projection d’une copie de travail à la maison du court métrage devant une demi-douzaine de personnes. Nous écoutons, réfléchissons à la pertinence de ce qui est dit. Au bout d’un mois de montage, il me semble malgré tout que le film est là, qu’il ressemble à ce à quoi j’avais pensé plus de trois ans auparavant. Si le film n’est pas bon, ce ne sera pas que je l’aurai raté mais que mon intention était mauvaise ou que ce que j’avais prévu pour la mettre en scène aura été inadéquat. Malheureusement, je sais que je n’aurai plus jamais le recul suffisant pour savoir si mon film est bon ou pas.

2010 : réception

Il faut à présent montrer le film. Encore une fois, le cas du court métrage est un peu spécial. Un court métrage ne sort pas en salle, il est en général très peu vu et le travail du producteur consiste à organiser la vie de cette objet qui, finalement, intéresse très peu de monde. Il y a bien les festivals, les diffusions à des heures très tardives à la télévision, les projections ici ou là, mais il est très difficile de faire exister les courts métrages dans l’espace public, contrairement aux longs métrages que les médias aiment beaucoup faire vivre une ou deux semaines pour remplir les émissions de leurs chaînes de télévision ou les colonnes de leurs journaux.

La tradition, pour un court comme pour un long métrage, est, au moins, d’organiser une projection d’équipe. Pour les courts métrages, c’est parfois l’unique projection du film. Julien choisit l’excellente salle de projection de la FEMIS pour cet événement. Notre rôle est de remplir les 200 places de la salle, ce qui n’est jamais évident. Pourtant, ce soir là, la salle est comble et l’accueil me semble assez bon. On nous félicite chaleureusement, les acteurs semblent heureux (ce qui est le principal pour moi ce soir là). Ici ou là, certains compliments n’en sont pas (une productrice me dit « J’aime beaucoup le scénario, après j’ai des réserves mais ce n’est ni le lieu ni l’heure pour t’en faire part »), d’autres m’évitent carrément (j’entends même : « C’est bien mais c’est moche tous ces décors quand même. ») Néanmoins, le lendemain, Julien m’appelle et m’assure que la projection s’est très bien passée et que le film est très apprécié. Encore une fois, je suis trop proche du film pour pouvoir l’évaluer mais, comme on dit, je suis content que les gens soient contents.

Une chose m’étonne quand même pendant cette projection : le public rit beaucoup. J’étais persuadé d’avoir fait un film inquiétant et froid et il ne m’avait, moi-même, jamais fait rire. François Truffaut disait qu’un film était toujours plus triste que son scénario, j’imagine que La République est une exception à cette règle. Comme quoi, on ne fait pas toujours le film que l’on croyait faire, pour le meilleur ou pour le pire.

Rien ne se passera ensuite pendant plusieurs semaines, jusqu’à la diffusion du film sur France 2 au début du mois de mars 2010. Alors que je ne m’y attendais absolument pas, Télérama, Les Inrockuptibles, Le Nouvel Observateur et Libération parlent favorablement de mon film une semaine avant sa diffusion, ce qui est rarissime pour un court métrage. Peu après, le film est sélectionné dans d’excellents festivals, y obtient des prix et La République reçoit même le prix Jean Vigo du court métrage au début du mois de mai. On me félicite, on me demande si je suis heureux, mais mon film est devenu quelque chose d’abstrait, que je ne réussis toujours pas à évaluer. Parfois, je le regarde agréablement, d’autres fois, j’ai l’impression de regarder et d’imposer au public un épisode raté de L’Inspecteur Derrick.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Été / Automne 2009 : post-production

J’ai l’impression que mon travail est, à présent, plus ou moins terminé. Le montage image est achevé et même si j’ai conscience que nous pouvons améliorer une ou deux répliques ici ou là grâce au montage son, que nous pouvons améliorer l’impact que le film aura sur le spectateur grâce à l’étalonnage, il me semble que plus rien d’essentiel ne sera modifié.

Ce n’est pourtant pas le cas. Mon monteur son, Matthieu Descamps, travaillera comme un forcené sur le montage des dialogues. Pendant plus de trois semaines, nous réécouterons toutes les prises pour, syllabe par syllabe, choisir la meilleure intonation, le phrasé le plus clair, retiré un son, un gémissement imperceptible hier qui nous semble aujourd’hui de trop. Ce travail d’orfèvre améliore, il me semble, le film de façon spectaculaire. Quand Céline vient, dans les derniers jours du montage son, écouter le résultat, c’est presque un nouveau film qu’elle découvre.

Nous finissons le travail sur le son du film avec une séance de bruitage et le mixage. Pendant longtemps, je me suis demandé si le film devait comporter de la musique ou non. Je ne suis pas un puriste et, très souvent je trouve qu’un film gagne en puissance, en intensité grâce à une musique bien utilisée. Pourtant, à la fin de ce travail sur le son, nous nous apercevons que le film rejette toute musique, qu’aucune greffe ne pourra prendre. Je n’ai ainsi jamais rejeté a priori l’idée de mettre de la musique dans mon film mais je n’ai simplement pas su le faire, je n’ai pas su lui laisser de place. D’ailleurs, souvent, je pense que l’utilisation « radicale » de musique dans un film (son absence totale ou l’utilisation de l’intégralité d’une chanson par exemple) ne provient pas d’un parti pris mais simplement de l’inexpérience dans ce domaine du metteur en scène (je ne parle évidemment pas ici des films de Rohmer, Bresson ou Eustache mais de certains courts métrages ou premiers films français vus récemment). Nous nous contentons de finir le film sur quelques notes d’une sonate de Beethoven que j’aime, interprétée par Arthur Schnabel.

Nous avons enfin deux étalonnages à réaliser pour finir le film définitivement : un étalonnage vidéo pour la diffusion du film à la télévision et un étalonnage chimique pour la copie 35 mm que nous allons faire tirer. L’étalonnage vidéo se fait en direct, Sébastien et moi sommes devant un écran vidéo et nous pouvons contrôler les nuances de couleurs tout en regardant le film. De la même manière qu’au moment du montage son, un nouveau film apparaît. Les partis pris que nous avions choisis, Sébastien et moi, quant au style visuel du film se déploient enfin. Je voulais que le film ressemble aux photos de presse des années 60 des campagnes électorales américaines, notamment celle de Kennedy en 1960. Là encore, il me semble que le pari est gagné.

L’étalonnage chimique est plus mystérieux. Sébastien et moi visionnons le film en copie 35 mm et demandons des modifications à l’étalonneur qui ne nous les présente sur une nouvelle copie qu’une semaine plus tard. Le dialogue entre Sébastien et l’étalonneur est souvent un peu cryptique : « Il faudrait dans telle scène un point de plus en magenta et peut être un demi point de cyan en moins dans telle autre. »

La projection de la copie définitive au laboratoire clôt la fabrication de La République de façon dramatique. Nous arrivons un matin, Julien, Sébastien et moi, chez GTC, le plus vieux laboratoire de France et un lieu mythique de l’histoire du cinéma français. Une petite foule attend à l’extérieur du bâtiment principal et je crois d’abord à une grève du personnel, le laboratoire étant en grande difficulté financière depuis des mois. Mais ce n’est pas à une grève que nous assistons mais bel et bien à la fermeture définitive du laboratoire et à l’annonce, devant les salariés bouleversés, de la cessation d’activité de l’entreprise. Tous les techniciens, commerciaux, gestionnaires de GTC apprennent qu’ils seront dès le lendemain licenciés et que, bientôt, les nombreux bâtiments du lieu seront désaffectés. Notre étalonneur tient malgré tout à nous projeter l’ultime copie de La République. Cette projection fut la dernière à avoir jamais eu lieu chez GTC.

Épilogue : le fantôme de Rohmer et Mauro Bolognini

Quelques jours avant de recevoir le prix Jean Vigo, je fis ce rêve étrange : j’étais reçu par Éric Rohmer, dans ses bureaux, avenue Pierre 1er de Serbie. Nous parlions cinéma et je me demandais intérieurement ce qu’il pensait de mon film. Rohmer me parlait de mille sujets mais jamais de La République, aussi étais-je peu à peu persuadé qu’il n’aimait pas beaucoup mon film. Puis après un long silence et un regard un peu moqueur il me dit : « Ah oui, j’ai vu votre film, là, on dirait du Mauro Bolognini. Ce n’est pas très bon. Non, pas bon du tout même. » Je n’ai rien contre Mauro Bolognini, je crois même que je n’ai jamais vu un seul de ses films, mais le jugement laconique d’un Rohmer sorti d’outre-tombe ne m’amusa que très modérément au réveil.

 

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