L'ECRITURE

Deux années plus tard, une fois mes études terminées, je repense aux petits voiliers sur le bassin du Luxembourg. Ce lieu unique est resté quelque part dans un coin de ma tête.

Une idée commence à germer. Je veux raconter la rencontre de deux bateaux qui se croisent et que les vents poussent chacun de leurs côtés.

Inspiré par la danse des voiliers sur le bassin, j'imagine une histoire en musique.

Au cours de l'été 2001, j'avais justement rencontré Pierre Gascoin, un jeune compositeur alors très influencé par la musique Jazz des années soixante, au Jardin du Luxembourg.

Je lui raconte vaguement l'intrigue telle que je l'imagine. Il me compose plusieurs mélodies très simples qui vont inspirer mon scénario et mes dialogues chantés.

Nous construisons l'ensemble dans l'énergie d'un seul mouvement musical qui emporte le tout, un seul souffle qui nous mène du début à la fin du film.

Les mélodies s'entrecroisent, viennent et reviennent, les motifs musicaux se décalent imperceptiblement.

Le film doit être comme un tour de manège : une ouverture furtive à l'imaginaire et à l'émotion, une promenade autour du bassin dont le point de départ est également le point d'arrivée (la mélodie des petits bateaux qui ouvre et clos le film).

Au final, tout semble être comme avant. Et pourtant...

Par-dessus tout, nous avons le désir de la simplicité. Nous voulons faire un film à l'image de ces petits bateaux qui se poussent avec un bâton et que l'on regarde se faire diriger par le vent. C'est la naïveté de ce jeu que je désire capter à travers mon récit. Le film se doit d'être naïf sans être niais. Équilibre délicat à maintenir.

 

Peintures murales de Nemo

LES REFERENCES

Dans mon imaginaire, le bassin du Luxembourg évoque le cinéma français des années soixante. Par sa douceur et sa poésie, il est associé tout particulièrement à l'univers de Jacques Demy. Je décide de construire le film en hommage à son cinéma.

L'idée est d'expatrier à Paris, un personnage issu de l'univers nantais de Demy. Coupée de ses origines, la jeune « Edith de Nantes » vient se ressourcer autour du bassin, univers maritime en miniature et métaphore de sa ville natale.

Je décide d'écrire des personnages qui renvoient à d'autres films, et de les mettre dans des situations de comédies musicales incontournables : la rencontre amoureuse, le bar où le héros retrouve ses amis, les amants qui se cherchent chacun de leur côté sans se trouver... Je veux jouer avec les clichés et les conventions du genre avec délicatesse et sans emphase.

Ainsi, mon Edith a un peu de la candeur des personnages de Madeleine et de Geneviève dans Les Parapluies de Cherbourg , elle est mère-célibataire comme la Lola de Lola , elle a la naïveté de la Violette d' Une Chambre en Ville et porte le prénom de l'héroïne de ce film.

Elle descend également des personnages féminins bien élevés des comédies musicales américaines et a le grand regard, à la fois coquin et soumis, des héroïnes des films de Bollywood.

Enfin, avec le recul, j'ai retrouvé dans le jeu de la comédienne, Juliette Laurent qui interprète Edith, quelque chose de Claude Jade dans Baisers Volés de Truffaut.

Le personnage masculin doit représenter un ailleurs. Par la façon dont il ne s'insère pas totalement dans l'univers musical propret d'Edith, il incarne l'appel d'une plus grande liberté. Je pense donc au personnage de Jean-Claude Brialy dans le film Anna de Pierre Koralnik et à la liberté de son rapport au chant.

Mais plus que tout, le personnage masculin m'est inspiré par les silhouettes dessinées sur les murs de Paris par le peintre urbain Nemo : ce personnage, vêtu d'un manteau et d'un chapeau signes du départ pour un grand voyage, nous propose une brève escapade vers un ailleurs indéfini au coeur des murs les plus gris de Paris.

J'imagine le personnage de la Dame qui loue les petits bateaux à l'image de grandes figures féminines de films musicaux. La fée des Lilas de Peau d'Ane pour son côté complice et son petit sourire en coin, Dorothy dans The Wizard of Oz pour son évocation d'un ailleurs, au-delà de l'arc-en-ciel, ou encore Anna Karina dans Anna pour la façon dont, prisonnière de son quotidien parisien, elle s'imagine en bord de la mer, « sous le soleil exactement ».

Et puis, suite à la rencontre avec la chanteuse Rosena Horan qui interprète le rôle, le personnage gagne un accent anglo-saxon qui donne au personnage un petit côté Julie Andrews (les monteuses vont d'ailleurs par la suite surnommer le personnage Mary Poppins).

Enfin, César, le petit garçon, est une petite silhouette fine et élancée qui marche et court à l'image du héros du Ballon Rouge de Albert Lamorisse. Encore un film faisant survenir le merveilleux au coeur d'un gris quotidien parisien.

Ainsi dans la tradition du cinéma musical populaire de René Clair, en continuité des premiers films de la nouvelle vague et en hommage à l'univers de Jacques Demy, Les Voiliers du Luxembourg réunit de nombreuses références pour raconter une histoire d'hier et d'aujourd'hui.

 

LES REPETITIONS

Je conçois le film presque comme un film muet : tout doit être raconté par l'image, par le rapport des corps, par la façon dont ils se contournent et s'appréhendent.

Le texte, très présent, n'est que badinage. La parole ne fait que jouer (jeux de mots et de rimes). L'essentiel est dit par les mouvements des corps (et les mouvements de caméra).

Je travaille avec les comédiens Juliette Laurent et Manuel Vallade, à la recherche d'une façon d'exprimer cette légèreté en musique. J'y explore mon goût pour les dialogues anodins (et pour le sens qu'ils peuvent dissimuler).

Le travail consiste, pour eux, à s'approprier la façon dont les mots sont mis en musique, à rendre le texte chanté le plus naturel possible et à trouver une liberté dans cet exercice un peu contraignant.

 

L'ENREGISTREMENT STUDIO

La bande son du film est enregistrée fin mai 2005.

D'abord la musique qui est interprétée par un piano, une contrebasse, une batterie, une guitare et un violon.

Ensuite, les voix. Le film étant majoritairement tourné en play-back, les comédiens doivent constamment imaginer comment ils incarneront leurs personnages à l'image quelques jours plus tard pour modeler leur interprétation vocale.

 

COSTUMES ET DECORS

Avec Zakaria Elahmadi (chef décorateur) et Aurélie Morille (chef costumière), nous cherchons à construire l'ensemble du film à l'image du bassin et des petits bateaux du Luxembourg ; tous les éléments doivent être intemporels et avoir un aspect allégorique.

LES REPERAGES

Afin de faire un clin d'oeil aux bombages de Nemo, j'avais décidé de faire passer Edith devant une peinture se trouvant en bas de la rue Saint Jacques, à quelques minutes du Luxembourg.

Le mur en question a malheureusement été repeint quelques mois avant le tournage et il m'a fallu en chercher un autre. Je n'ai pas eu à aller bien loin, une autre peinture se trouvait en haut de la rue Saint-Jacques. Quelques jours avant le tournage, je découvre un échafaudage juste à cet emplacement, plus possible de la filmer. Il me faut trouver un autre personnage chapeauté de toute urgence. Je contacte Nemo pour lui demander les adresses de ses différents bombages et nous voilà partis avec Julie Gouet, ma première assistante, dans une longue mais charmante promenade aux quatre coins de Paris à la recherche de la perle rare. Nous la dégotons rue Pirandello, dans le 13ème.

musique de Pierre Gascoin

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