Les vœux - Journal rétroactif de la fabrication du film
Printemps 2004 : Je décide d’écrire un scénario d’après une nouvelle de Pascal Quignard que j’avais lue dans mon adolescence et qui m’avait frappée, Le Nom sur le bout de la langue. Cela me semble fou d’avoir pour projet de premier court-métrage un conte médiéval, mais cette folie me paraît stimulante. Si j’y arrive, je pourrai tout faire par la suite !
Ete 2005 : En travaillant avec Clara Bourreau, scénariste, et en faisant parfois relire le scénario par des amis de bon conseil, nous sommes parvenues à une première version de continuité dialoguée. Je rencontre Pascal Quignard qui me donne son accord pour cette adaptation, et me conseille de s’éloigner le plus possible de son texte pour me l’approprier tout à fait. Nous déambulons dans les Buttes Chaumont, c’est une journée ensoleillée, la lumière joue dans les feuilles des arbres, je lui serai pour toujours reconnaissante de sa confiance. Par la suite, je développe notamment la deuxième partie du film, avec la Belle Dame, un personnage qui n’existait pas dans la nouvelle.
2005/2006 : J’ai fait lire le projet à plusieurs jeunes producteurs de court-métrage, mais personne ne se sent prêt à l’accueillir : trop compliqué ce projet de conte pour un premier film. Je décide donc de m’appuyer sur la société pour laquelle je travaille beaucoup, Why Not Productions : ils sont d’accord pour que je produise le film au sein de la société.
La recherche de financements commence.
C’est d’abord la région Limousin qui accepte de soutenir le projet. En septembre 2006, j’effectue des premiers repérages dans toute la région en compagnie d’une amie réalisatrice, Sara Rastegar, qui nous permettront de définir la zone dans laquelle je tournerai, à la frontière entre les trois départements Creuse, Corrèze et Haute Vienne, sur le plateau des Millevaches. Nous avons trouvé le pont sur lequel Bjorn passera dans l’autre monde…
Puis la région Pays de Loire nous apporte à son tour son soutien, et je sais déjà que je veux y tourner les scènes avec la Belle Dame, dans le bois et sur la plage du Veillon, en Vendée. C’est un lieu magique, une lagune intemporelle où j’ai traîné des jours de vacances adolescentes, à l’âge où l’on a encore envie de croire aux fées…
Je sais déjà que je veux travailler avec une amie d’enfance, Elodie Faillenet, pour les costumes. Je lui fais lire la bande dessinée de François Bourgeon, Les Compagnons du Crépuscule, je l’emmène en week end voir la tapisserie de l’Apocalyse à Angers, nous allons plusieurs fois musarder au musée de Cluny – musée du Moyen-Âge, à Paris.
Je découvre la tapisserie de Bayeux, cette longue bande dessinée brodée qui raconte la bataille de Hastings. Dans la fresque qui orne les bordures, j’y vois Colbrune et Bjorn, nus, qui ont l’air tirés par des puissances supérieures et pourtant semblent se chercher… Ce sera le premier carton du générique.
Février 2007 : Je pars pour deux mois et demi au Cameroun sur le tournage du film de Claire Denis, White Material. C’est la première fois que je vais travailler sur un tournage de long-métrage de bout en bout. Je suis résolue à lancer la préparation de mon film à mon retour, avec l’argent des deux régions, et chargée de l’énergie de cette première expérience…
Nous sommes dans une région rurale du Cameroun, et je pense à Colbrune et Bjorn en observant les maisons de terre rouge qui bordent la piste, les petits potagers, le linge qui sèche étendu sur les buissons, la valeur accordée aux objets de tous les jours.
Mai 2007 : Nous commençons la préparation du film.
Je commence à travailler avec Benjamin Papin comme assistant à la mise en scène. Avec le chef opérateur, Tom Harari, ils se connaissent très bien, ça tombe bien.
A chaque fois que nous recrutons un membre de l’équipe technique, même à la régie, on me dit « mais je n’ai jamais fait de film d’époque ! ». ça tombe bien, moi non plus, j’ai l’impression que chacun se retrouve avec un défi à relever…
La question du casting se pose. Autrefois, pendant l’écriture du scénario, j’avais pensé à faire interpréter les quatre protagonistes par seulement deux comédiens, mais l’idéal pour moi serait d’avoir deux inconnus pour jouer Colbrune et Bjorn, et deux acteurs de cinéma que l’on a déjà vus à l’écran pour les deux Seigneurs. J’aurais l’impression que deux acteurs confirmés arrivent avec une sorte de puissance, avec cette dimension de fantômes que leur confèrent leurs apparitions précédentes.
J’envoie le scénario à Anne Consigny qui illuminait le film de Stéphane Brizé, Je ne suis pas là pour être aimé. Je n’en reviens toujours pas qu’elle ait accepté de se lancer dans notre aventure, mais elle sera ma Dame du Lac ! Quant à Jean-Louis Coulloc’h, que j’avais découvert avec émerveillement dans Lady Chatterley, je le rencontre à la fin d’un spectacle, je bafouille quelques explications sur mon projet médiéval en lui donnant un exemplaire du scénario. Il me dit « Du Guesclin, c’est mon rêve… » Ce n’est pas tout à fait cela, mais mon chevalier au nom fourchu le séduit, il accepte.
Au départ je n’avais pas du tout pensé jouer dans le film. J’ai fait passer des essais à plusieurs jeunes gens pour les rôles de Colbrune et Bjorn, très vite j’ai eu envie d’engager Xavier Depoix, il a la même silhouette noueuse que Jean-Louis, avec la douceur et la rondeur de sa jeunesse. Car je voulais tout de même que nos deux couples se ressemblent…Quelqu’un – une bonne fée - me souffle que je pourrai jouer le rôle de Colbrune, et je ne peux pas résister à la tentation.
Avec Benjamin mon assistant, nous convenons d’une marche à suivre pour que cela soit possible : toutes les scènes où j’apparais sont répétées et filmées par lui en vidéo, sur Paris, et nous nous calons ainsi sur ce que sera la direction pour mon jeu. Sur le plateau, je décide que je n’écouterai que lui et ses indications, que nous n’aurons pas de moniteur vidéo et que je n’écouterai ni ne visionnerai aucune prise.
Juin 2007 : Il s’agit maintenant de faire des repérages plus poussés en Limousin pour trouver le décor des deux maisons, qui est très clair dans mon imagination mais nous coûtera des kilomètres d’errance sur les routes du plateau de Millevaches ! Très vite nous trouvons un extérieur idéal, un ancien moulin qui fait face à un vieux four à pain, mais il est exclu de tourner à l’intérieur, il y a une roue à aube !!
La chance et le flair du régisseur général nous amèneront à Tarnac, où le maire nous permet de vider deux anciens bâtiments qui servaient de débarras et de les aménager à notre guise. Eh oui, ce sera comme en studio : intérieur et extérieur ne sont pas au même endroit !
Ces repérages s’effectuent en compagnie du régisseur général, de l’assistant mise en scène et du chef opérateur, Tom.
Avec Tom nous commençons à travailler sur un découpage. J’ai envie que la caméra soit le plus souvent sur pied. Mais pour la rivière, Tom me dit qu’on pourrait envisager un travelling en barque… ce que nous ferons effectivement ! Nous voulons aussi essayer de faire des nuits américaines – « day for night » en anglais. On filme de jour avec un filtre pour faire la nuit. Ça donne un effet peu réaliste qui n’est pas pour nous déplaire dans l’optique du conte…Pour parler lumière, nous dialoguons avec des tableaux à l’appui, de la Tour bien sûr, le Caravage pour Heidebic, mais aussi des expressionnistes comme Munch – je me souviens d’avoir beaucoup parlé d’un tableau intitulé Le Viol.
Je me rappelle avoir eu beaucoup de mal à trouver un chef décorateur. J’avais travaillé bien en amont avec une amie qui a dû partir au dernier moment sur un autre projet, et en cette période propice aux tournages, tout les gens que j’appelle sont pris ! Heureusement nous trouverons, juste à temps, Guillaume Deviercy, qui avec une seule assistante et un budget serré, fera des prouesses – la ceinture qui se change en serpent d’eau, c’est lui qui la manipulait, pour ne citer qu’un exemple.
28 juin 2007 / 12 juillet 2007 : Tournage
Ce sont les dates, de mémoire.
Difficile de raconter.
La veille du premier jour, une nuit quasi sans sommeil.
L’impression d’avoir chaque jour une nouvelle difficulté à essayer, à ma grande joie : le jour du cheval, le jour du travelling, le jour des figurants pour le mariage…
Quoiqu’il en soit, de tous les détails de ce moment intense, le spectateur n’en saura rien !
Septembre à décembre 2007 : Montage image.
C’est pendant le montage que nous décidons de faire un générique brodé, par ma mère… Mais avant de lancer les travaux, il faut choisir un titre. Le film s’appelait Colbrune et Bjorn, mais à force de l’avoir entendu écorcher par tous les fournisseurs (Colburne et Borne ?), nous cherchons un nouveau titre… Les épousailles, les noces de coton, le conte du nom…, nous finissons par trouver les vœux à l’issue d’une projection de montage. Ma maman brode le générique que nous shootons avec quelques chutes de pellicule grapillées je ne sais plus où.
Janvier Février Mars 2008 : Montage son, mixage, étalonnage
Je voulais un film sans musique, mais on s’aperçoit que le film en réclame ! Avec l’aide de Thierry Jammes qui avait composé une chanson qui finalement n’est pas montée, et l’air de l’orgue portatif de la Belle Dame, nous comblons ce manque. Je n’ai jamais écouté autant de musique médiévale !
Le film, tourné en super 16, est gonflé en 35mm. Avec Tom, nous étalonnons en hâte la première copie, car le film est sélectionné au festival de Brive au mois d’avril !
2008/ 2009 : Le film vit sa vie de moyen métrage. Festivals en France : Brive, Pau, Nice, Pantin ; projections en Pays de Loire et Limousin, les régions partenaires, Festivals de Gijon en Espagne, Ismaïlia en Egypte, Saint Pétersbourg…Le meilleur souvenir pour moi restera peut-être une projection à Eymoutiers, tout près de Tarnac, où les figurants du mariage remplissent la salle avec famille et amis. L’un deux me dit qu’il n’avait jamais remarqué la beauté des lieux que nous avons filmés, devant lesquels il passe tous les jours…
Avril 2010 : La Pellicule Ensorcelée m’annonce les projections du film en Champagne Ardenne. J’essaye de réfléchir à ce que peut être un journal rétroactif… Quand j’ai découvert le film tel qu’il est, à la fin du montage image, je crois que c’est là que j’ai vraiment compris ce que j’avais pu pressentir : que ce film racontait mon histoire, le choix de l’homme avec qui je partage ma vie, et avec qui, alors que je terminais la fabrication du film, nous avons fait un enfant. Avec sa dimension fantastique, j’espère que les voeux parle à ceux qui le voient du réel et de l’incommensurable importance de la question du choix amoureux.