1)     maison d'arret / int. / jour

Une table en fer, ˆ c™tŽ d'un lit, dans le coin d'une pice en bŽton brut, avec quelques papiers, des journaux et, encadrŽes, deux photos : deux jeunes femmes, l'une d'une vingtaine d'annŽes, l'autre de trente cinq ans, tenant dans ses bras un enfant.

Par une lucarne grillagŽe dans le mur, on aperoit le ciel.

2)     maison d'arret / ext. / jour

Un jeune homme d'ˆ peine vingt ans, Eric, ŽmaciŽ, dans son uniforme de dŽtenu, fume une cigarette devant un mur gris qui emplit tout l'Žcran.

3)     Titre : "Le droit chemin"

4)     rue banlieue / ext. / jour

Une voiture vient lentement se ranger le long du trottoir, dans une rue pratiquement dŽserte, bordŽe d'immeubles modernes.

 

     ERIC (off) :

Voilˆ comment tout a commencŽ. A ma sortie de prison, les flics m'ont raccompagnŽ chez moi. J'avais gardŽ une piaule, en banlieue. C'Žtait de la provocation de leur part, ils voulaient que tout le quartier sache que j'Žtais passŽ au trou.

 

Trois policiers en civil descendent de la voiture, et font sortir Eric, menottes aux poings. Ils l'emmnent dans l'immeuble.

5)     couloir immeuble Eric / Int. / jour

Deux policiers le forcent ˆ avancer dans un couloir. Le troisime les suit. Ils entrent dans un petit studio, dont la porte Žtait ouverte.

6)     studio Eric / int. / jour

Un des policiers enlve les menottes d'Eric, et se met ˆ le fouiller, lui fait lever les bras. Les autres jettent un oeil ˆ la pice. Le policier chargŽ de la fouille glisse une liasse de billet dans la poche de veste d'Eric.

 

     ERIC (off) :

Un des flics m'a donnŽ un peu de monnaie, alors j'ai fermŽ ma gueule. Il avait sžrement l'impression de m'aider ˆ refaire ma vie. J'allais bien me conduire et devenir un citoyen modle. Ou peut-tre qu'ils attendaient que je balance quelqu'un.

 

Les policiers sortent. Eric reste seul.

7)     Local ˆ poubelles / int. / nuit

Eric paie un jeune garon qui lui donne en Žchange un sac d'hŽro•ne. Ils se sŽparent.

 

     ERIC (off) :

Moi, j'ai fait ni une, ni deux, j'ai achetŽ un paquet de merde avec le fric...

 

8)     parking / ext. / nuit

Eric deale avec deux hommes dans une voiture, sur un parking.

9)     studio / int. / nuit

Eric prŽpare des petites doses d'hŽro•ne avec une balance. Il range soigneusement son matŽriel.

 

     ERIC (off) :

...et j'ai recommencŽ la vie comme avant.

 

 

10)    couloir immeuble / int. / nuit

Eric range discrtement un paquet kraft dans le coffret Žlectrique du couloir de son immeuble.

11)    Pont chemin de fer / ext. / aube - marche arriere

Eric est adossŽ au parapet d'un pont en fer au dessus de voies ferrŽes, en banlieue. Des trains passent sous lui ˆ vive allure.

Quelque chose d'Žtrange retient l'attention dans l'image : le vent agite bizarrement ses cheveux, sa veste, comme si l'image Žtait filmŽe en marche arrire.

 

     ERIC (off) :

Quand ils te donnent des circonstances attŽnuantes, qu'est-ce qu'ils croient ? Qu'ˆ la sortie, les circonstances, elles ne sont plus lˆ ˆ t'attendre ? La vŽritŽ, c'est que mme avant d'aller en prison, tu n'es jamais qu'en libertŽ provisoire.

 

Il regarde le soleil se lever : en plusieurs plans, on voit le soleil poindre derrire un ensemble d'immeubles, gagner les Žtages supŽrieurs.

12)    CitŽ / ext. / jour - Marche arriere

Les rayons Žclairent des parties de plus en plus grandes de faade dans la citŽ de banlieue.

Dans les rues, les passants, les voitures, se dŽplacent tous en marche arrire. L'eau qui luit sur les trottoirs retourne dans le tuyau d'arrosage de l'employŽ municipal. Les trottoirs s'asschent par miracle.

13)    Rue Bar Golda / ext. / aube

Eric marche (dans le bon sens) dans la rue d'une banlieue pavillonnaire. Il arrive devant un cafŽ dont le rideau mŽtallique est baissŽ. Il sort une clŽ de sa poche, ouvre le rideau, le lve suffisamment pour passer en dessous et entrer dans le bar.

 

     ERIC (off) :

Je suis allŽ voir les parents de Golda dans leur cafŽ. Quelqu'un m'avait appelŽ, peu aprs mon arrestation, pour me dire que Golda avait fait une overdose.

 

 

14)    escalier bar + palier / int. / aube

Eric monte ˆ pas de loup les escaliers qui sŽparent le cafŽ au rez de chaussŽe de l'appartement des propriŽtaires. Il arrive sur un palier. La porte d'une chambre est entrouverte. Eric aperoit un corps de femme couchŽ dans les draps.

15)    chambre Golda / int. / aube.

La pice est sobrement meublŽe ; les rideaux clairs laissent entrer beaucoup de lumire. Eric s'est assis au bord du lit. La femme n'a pas rŽagi. Elle est couchŽe sur le dos, les yeux clos, impassible, comme morte. Elle a vingt ans, elle est belle, on reconna”t peut-tre celle de la photo de la premire sŽquence. Eric guette son visage, le souffle coupŽ.

Ses yeux s'ouvrent. Elle sourit.

 

     ERIC (off) :

On m'avait menti.

 

Eric se dŽshabille lentement et se glisse dans les draps.

16)    rues paris / ext. / nuit

Insouciants, Eric et Golda courent dans les rues, la nuit.

Elle semble heureuse. Son visage illumine celui d'Eric. Il la regarde comme si elle Žtait rŽchappŽe des enfers, comme s'il avait oubliŽ ses traits.

     ERIC (off) :

Elle s'est foutue de moi. Je lui ai demandŽ pourquoi elle Žtait jamais venue me voir. Elle Žtait mme pas au courant. Elle m'a accueillie comme si j'Žtais parti la veille. Il faut toujours se faire une raison, avec Golda.

 

Eric aperoit son propre visage dans le reflet d'une vitrine. ‚a le trouble.

17)    local poubelles / int. / nuit

Eric et Golda se font un shoot.

Ils sont rompus ˆ ce genre d'exercice.

Ils rangent soigneusement le matŽriel. Ils n'ont pratiquement pas l'air dŽfoncŽs.

18)    pavillon parents / ext. / jour

Eric entre par un portail dans un petit jardin de banlieue et monte le perron qui mne ˆ la porte d'entrŽe d'un pavillon en pierre ˆ meulire. Il porte ˆ la main des affaires en dŽsordre : des vtements, une valise, quelques journaux.

 

     ERIC (off) :

Trs vite, le fric a filŽ comme du sable entre mes doigts. J'ai dž retourner chez mes parents.

 

Il va pour sonner ˆ la porte, mais suspend son geste : quelque chose le retient. Avant qu'il ait eu le temps de se dŽcider, la porte s'ouvre sur ses parents furieux. Ils hurlent, lui jettent ˆ la figure des vtements, des journaux, une valise, exactement ceux qu'il tenait ˆ la main quelques secondes auparavant, avant que la porte ne s'ouvre.

19)    salon parents / int. / jour

Eric et son pre, quarante cinq ans, se battent dans le sŽjour. Les injures fusent. La mre, du mme ‰ge que le pre, essaie de s'interposer.

 

     ERIC (off) :

‚a leur a pas fait plaisir de me revoir.

 

 

20)    chambre Eric / int. / jour

Dans la chambre d'adolescent d'Eric, les trois policiers en civil rangent soigneusement dans les placards et dans les meubles les affaires en dŽsordre qui jonchent la pice, sous le regard mŽdusŽ d'Eric et de sa mre.

 

     ERIC (off) :

Les flics sont revenus, et mes parents ont dž comprendre que j'avais fait de la taule.

 

 

La mre les regarde ranger l'armoire comme si elle craignait de les voir trouver quelque chose.

Lorsque les policiers quittent la chambre avec un petit salut, la pice est parfaitement en ordre.

Eric et Golda sont assis, habillŽs, sur le lit Žtroit de la chambre. Ils sont seuls. Ils regardent l'image de leur couple dans l'armoire ˆ glace de la pice. Ils se caressent sensuellement, s'embrassent. En off, on entend les gŽmissements de leur rapport sexuel, trs doux, qui rŽpond ˆ la douceur de leurs caresses.

 

     ERIC (off) :

Et puis ils n'aimaient pas Golda. Pourtant, plus ils s'engueulaient avec elle, plus ils avaient l'air de s'y habituer. Et elle, de son c™tŽ, venait de moins en moins souvent.

 

Ils sont allongŽs nus dans le lit. Golda dort. Eric regarde le creux des bras de Golda : il n'y trouve aucune trace de piqžre.

Seule dans la chambre d'Eric, la mre vient fouiller dans le placard prŽcŽdemment rangŽ par les policiers. Elle sue d'angoisse. Elle glisse un sachet d'hŽro•ne dans les vtements de son fils.

 

 

     ERIC (off) :

Un jour, j'Žtais en manque, ma mre m'a trouvŽ un peu d'hŽro. ‚a a beaucoup arrangŽ nos relations ˆ la maison.

 

La mre d'Eric, retouche sur lui un pantalon et une veste trop grands sur son fils. Elle plante des aiguilles. La mre et le fils, sereins, plaisantent.

21)    bureau Anpe / int. / jour

Eric est assis devant un bureau o se tient une jeune femme en train d'Žcrire sur son ordinateur. La jeune femme lui pose des questions : nom, prŽnoms, date de naissance, auxquelles Eric rŽpond mollement.

 

     ERIC (off) :

Un peu pour leur faire plaisir, et parce que je m'emmerdais, je suis allŽ chercher du boulot.

 

Eric remplit en mme temps une fiche de renseignements sur un coin de bureau et lui rend. Elle y jette un oeil, un peu surprise. La femme lui fait une remarque sur le dossier, et sa phrase ˆ elle est recouverte de manire synchrone par la voix d'Eric en off.

     ERIC (off) :

Quand je lui ai rendu mon dossier, la fille de l'ANPE a fait remarquer que je l'avais rempli ˆ l'envers.

 

Lorsqu'Eric lui rŽpond, c'est sa voix ˆ lui en off qui couvre son texte en in de la mme faon.

 

 

     ERIC (off) :

Je crois pas, j'ai dit. Elle m'a expliquŽ que pour remplir un C.V., il fallait toujours commencer par la dernire expŽrience, et remonter aux plus anciennes. C'est ce que je fais, j'ai rŽpondu.

 

La femme vŽrifie le dossier, et repart dans ses explications, sžre de son fait.

 

     ERIC (off) :

Elle a essayŽ de m'expliquer encore une fois, mais c'est moi qui ai abandonnŽ. Je trouvais pas a logique.

 

Eric arrte la discussion. La femme, dŽue, reprend son travail sur l'ordinateur.

22)    cour usine / int. / jour

Dans une cour d'usine, des ouvriers installent des calicots et des banderoles "Usine en grve", "Non aux restructurations", "Chevilly ne veut pas mourir", "Pas de fermeture sans reclassement."

 

     ERIC (off) :

Elle m'a trouvŽ une place dans une usine.

 

23)    Usine / int. / jour

Eric, en bleu de chauffe, travaille sur une cha”ne, seul dans tout le b‰timent. La majeur partie des machines est ˆ l'arrt.

 

     ERIC (off) :

Je leur ai dit je dŽbarque, je sais pas de quoi il s'agit, je suis allŽ bosser. ‚a me plaisait. J'aimais tellement mon nouveau travail que les autres ont pas eu l'air de m'en vouloir. Petit ˆ petit, ils m'ont suivi.

 

D'autres ouvriers prennent leur poste de travail. L'usine se remplit. Les machines se mettent en route. Le vacarme devient assourdissant.

Sur le poste ˆ c™tŽ de celui d'Eric, Golda, en tablier, vient dŽballer des objets de leur carton.

 

     ERIC (off) :

Golda en avait marre du cafŽ de ses parents ; elle a trouvŽ une place sur la mme cha”ne que moi.

 

Le travail d'Eric est trs particulier : Il dŽmonte des robots Žlectriques. Golda ouvre l'emballage du robot, le pose sur le tapis et le tapis fait passer l'objet parfaitement manufacturŽ ˆ Eric, qui en dŽmonte la coque, puis en retire une pice. Il exŽcute un nombre incalculable de fois cet acte absurde, lui-mme fascinŽ par son geste.

 

     ERIC (off) :

Les bŽnŽfices ont repris, et l'usine a ŽtŽ rachetŽe. J'ai compltement arrtŽ la dope. Le travail, a me calmait.

 

 

De main en main, le robot est dŽmontŽ, et finit par n'tre plus qu'un ensemble de petites pices sur les chariots des ouvriers.

24)    vestiaires usine / int. / jour

Derrire les casiers mŽtalliques des vestiaires, ˆ moitiŽ cachŽs, Eric et Golda s'embrassent, avec ˆ la fois beaucoup d'ardeur et de retenue, comme si c'Žtait leur premire fois.

 

 

     ERIC (off) :

Mais a l'intŽressait pas, Golda, un type sŽrieux, qui pensait qu'au boulot, et elle a cessŽ de m'attendre le soir ˆ la sortie.

 

 

25)    usine / int. / jour

Eric et Golda travaillent. Ils se jettent de temps ˆ autre un regard timide, comme s'ils n'osaient pas se parler, mais sŽduits l'un par l'autre.

 

     ERIC (off) :

‚a s'est fait sans engueulade, je crois qu'on a fini par comprendre qu'on ne se connaissait pas vraiment, en dehors de nos plans dŽfonce.

 

 

26)    Bar lycŽe / int. / jour

Eric, les cheveux longs, plus rieur, plus dŽsinvolte qu'auparavant, boit des bires dans un cafŽ avec un groupe d'adolescents. Ils fument, rient, jouent au flipper.

 

     ERIC (off) :

J'ai voulu me requalifier. J'ai fait un stage d'ajusteur tourneur, alors que j'Žtais juste OS 2, et finalement j'ai carrŽment repris les Žtudes.

 

 

27)    classe COLLEGE / int. / jour

Un professeur fait son cours de mathŽmatiques sur l'estrade de manire trs doctorale. Les Žlves, ‰gŽs d'environ quatorze ans, sont calmes.

 

     ERIC (off) :

Je me suis ŽtonnŽ moi-mme. J'avais une confiance folle dans mes capacitŽs. Les flics m'avaient oubliŽ, je pensais plus ˆ rien d'autre qu'aux Žtudes, mme si a devenait de plus en plus difficile.

 

 

En camŽra subjective, on dŽcouvre le livre qu'Eric tient dans ses mains. C'est un livre d'images trs simples, avec leur nom en gros caractres : "OURS", "BATEAU", "JOUET", "CERISE".

En contrechamp, on dŽcouvre alors, en train de lire le livre, derrire sa petite chaise et son petit bureau, un garon de cinq ans qui doit sans doute tre Eric.

28)    salon parents / int. / jour

Eric, cinq ans, pŽntre dans le salon de ses parents. Ils sont tous les deux assis ˆ table, et lui sourient d'un air gnŽ. A c™tŽ d'eux, deux femmes, dont l'une, de trente cinq ans, que l'on reconna”t peut-tre pour tre la femme de la seconde photo sŽquence 1, est en larmes. L'autre, inquite mais digne, prend des notes sur un dossier.

 

     ERIC (off) :

Un soir, je suis rentrŽ ˆ la maison, il y avait deux femmes que je ne connaissais pas dans le salon. Mes parents m'ont dit qu'ils n'Žtaient pas mes vrais parents ; j'avais une vraie mre, et elle Žtait venue me rechercher.

 

Les parents "de tutelle" d'Eric lui tendent un jouet, l'agitent maladroitement devant lui, essaient de l'embrasser. Eric, effrayŽ, se rue dans les bras de la femme en larmes.

 

     ERIC (off) :

C'est fou comme le temps, a rend indiffŽrent aux gens qu'on a aimŽs. Toutes ces annŽes passŽes avec eux ne comptaient plus pour rien. Ils me faisaient peur, maintenant.

 

29)    rue pavillon / ext. / jour

Eric, enfant, marche derrire sa mre. Elle est grande et mystŽrieuse, trop maquillŽe. Elle se retourne pour lui faire accŽlŽrer le pas, un peu sche.

 

     ERIC (off) :

Ma mre. Ma vrai mre. C'est comme si je l'avais connue depuis toujours.

 

30)    Chambre hotel / int. / nuit.

La mre d'Eric est allongŽe sur un lit, dans une chambre d'h™tel misŽrable, mal ŽclairŽe par un plafonnier poussiŽreux. Eric est allongŽ ˆ c™tŽ d'elle. La mre se passe du vernis sur les ongles des doigts de pieds en fumant.

 

     ERIC (off) :

Elle m'a pas posŽ de questions, comme si elle savait tout de moi, m'avait tout pardonnŽ.

 

Eric est fascinŽ par le visage de sa mre, pourtant indiffŽrente ˆ lui. La camŽra adopte le point de vue d'Eric sur elle, se fait de plus en plus caressante sur ce visage de femme fatiguŽe absorbŽe par sa t‰che.

31)    quai de gare / ext. / nuit

La mre traverse les voies ferrŽes pour passer d'un quai ˆ un autre de la petite gare. La mre est seule. On la distingue mal dans l'obscuritŽ.

 

     ERIC (off) :

On s'est plus quittŽs.

 

Elle tra”ne une lourde valise. Lorsqu'elle passe dans la lumire du rŽverbre, on s'aperoit qu'elle est enceinte. Elle franchit la cl™ture de la gare, part sur une petite route, et dispara”t dans la nuit.